La fourmi et la cigale
La fourmi ayant tant trimé
Et gâché son ardeur par cupidité
Se trouva fort dépourvue
Quand l’automne de sa vie fut venu.
Pas un souvenir duquel se réjouir,
A bien y chercher, pas une once de plaisir.
Elle alla crier déprime
Chez l’insouciante cigale sa voisine,
L’enjoignant de lui chanter
Quelque récit léger à s’approprier.
« Je vous saurais gré, lui dit-elle
De vous changer en ménestrel ;
Et vous récompenserai, foi d’animal,
Du demi de mon capital ».
La cigale n’est pas rancunière,
Elle sait, pour cela, la vie trop éphémère :
« Comment puis-je vous aider,
A enjoliver vos prochaines années ? »
La fourmi, par sursaut de lucidité,
Venait tout juste de réaliser
Combien le travail obstiné,
Avait, chez elle, si longtemps coupé court
Aux délices de la vie, des arts et de l’amour.
Alex Febo
(merci M.de la Fontaine pour l’inspiration ;-))
Si, dans la fable, La Fontaine est bien critique envers la fourmi également (elle « n’est pas prêteuse […] c’est là son moindre défaut »), notons que notre imaginaire d’enfant est fortement marqué par le message suivant : l’oisiveté (« fainéantise » ?) serait une marque de l’inconséquence.
Par contraste, le travail se verrait élevé au rang de valeur morale.
Or, si nous obtenons rétribution en retour de ce que nous avons accompli, c’est que le travail n’est pas une valeur « morale » en soi !
D’ailleurs, (comme le souligne si justement le philosophe AndréComte-Sponville), qui aurait l’idée – pour le moins saugrenue – de rémunérer quelqu’un pour une valeur morale comme le respect, la patience, le sens de la justice, l’empathie, la fidélité, le courage… ?
Bien sûr, bien des activités professionnelles s’appuient sur une ou plusieurs de ces valeurs mais la rétribution, elle, se fait au regard du travail accompli, pas de la valeur elle-même.
Aussi, à l’heure de l’« épidémie » de burn-out, de la grande démission, des questionnements sur l’âge de départ à la retraite ou la durée du temps de travail, de l’anthropocène… il est urgent de réhabiliter les qualités de la cigale (arts, poésie, enchantement, relation, carpe diem…) ; non pour nier celles de la fourmi (persévérance, prévoyance, cœur à l’ouvrage…) mais pour poser cette question essentielle :
Après quoi courons-nous quand nous allons travailler ?
Si la réponse à cette question inclut manifestement des considérations matérielles et financières, elle suppose également une exploration des ressorts souvent inconscients de la culpabilité qui entretiennent les messages contraignants que sont « sois parfait », « sois fort »…
Envoyez-moi vos réflexions…